La Monnaie / De Munt LA MONNAIE / DE MUNT

Une atmosphère différente

Le premier récital d’Eva-Maria Westbroek

Jasper Croonen
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4 min.

« Never waste a good crisis. », la célèbre formule de Winston Churchill nous sera souvent revenu en mémoire ces derniers mois. Pendant cette période, Eva-Maria Westbroek a préparé, entre des représentations en streaming et des semaines de confinement, son tout premier récital, avec un programme empreint d’une nostalgie réconfortante.

« En temps de crises, vous avez surtout envie de trouver du réconfort auprès des autres, or, nous sommes tous si seuls. » Ce dernier mot sera récurrent dans notre entretien avec Eva-Maria Westbroek. Nous venons de vivre une année qui aura été tout sauf facile, à cause bien sûr du coronavirus. Un virus qui a parfois frappé de très près. Et ce n’est pas tout : Westbroek se trouvait également à Vienne lors de l’attaque terroriste du 2 novembre. Le Wiener Staatsoper a vécu un confinement dans le confinement. « Maintenir les distances dans un moment pareil est vraiment horrible. »

Pourtant, malgré cette année difficile, il faut reconnaître que la soprano néerlandaise semble optimiste au téléphone. Déterminée même. Elle a réussi à mener à bien plusieurs projets d’opéra au cours des derniers mois. Lors de l’Opera Forward Festival d’Amsterdam, elle a participé aux côtés d’Anna Drijver (qui apparaît dans la série Netflix Undercover) à une production unique en streaming de Die sieben Todsünden de Kurt Weill. Elle s'est par ailleurs produite devant un public non seulement à Vienne, mais aussi à Stuttgart.

Elle est maintenant prête à relever son prochain défi : sa toute première tournée de récitals. En raison d’un certain nombre d’annulations et de reports, celle-ci débutera à la Monnaie, mais sans public dans la salle. « On commence déjà avec cette difficulté. » Son ton est léger, mais même au téléphone, je peux percevoir la gravité dans sa voix. « Oui, ça fait quelque chose. Je ne peux pas l’expliquer. Maintenant, on découvre vraiment la nécessité urgente de créer une connexion. Avec un public, mais aussi avec des collègues. À Stuttgart, l’orchestre a été nettement réduit, le chœur a chanté depuis les balcons et nous avons maintenu une distance de six mètres entre les chanteurs. C’était incroyablement difficile. Normalement, on est porté par le chœur et l’orchestre, maintenant on se sent complètement seul » - encore ce mot…

La musique comme des vacances ou un amour de jeunesse

Dans le programme de son premier récital, trois noms sautent immédiatement aux yeux : Joaquín Turina, Jesús Guridi et Carlos Guastavino. « J’ai toujours profondément aimé la musique espagnole et sud-américaine. Mon père était géologue et il allait régulièrement travailler sur le terrain en Espagne quand il était jeune. Nous nous y rendions donc assez souvent en famille. Cela représente toute une partie de ma jeunesse. La musique pour piano d’Isaac Albéniz et Enrique Granados fait partie de mon ADN depuis l’enfance. J'avais également un ami chilien. Je suis allée en Amérique du Sud après le départ de Pinochet pour rendre visite à sa famille. Tout cela m’a profondément marquée... » Silence à l’autre bout de la ligne. J’entends Eva-Maria rire en reprenant l’appel. « Incroyable, il vient de m'appeler. Quelle coïncidence. » Le lien qu’Eva-Maria Westbroek entretient avec l’Amérique du Sud semble presque télépathique.

« Une vague de nostalgie m’a vraiment submergée en plongeant dans ce répertoire. Travailler avec Julius (son accompagnateur, n.d.l.r.) fut une expérience fantastique. Il possède une maison tellement agréable dans Queen’s Park à Londres, avec une pièce qui regorge de partitions. Nous avons commencé à fouiner, puis avons mis la main sur Turina et Guridi. Quant à la musique de Gustavino, j’ai appris à la connaître lorsque j’ai chanté à Buenos Aires il y a environ trois ans. Après le concert, j'ai reçu un SMS de quelqu’un du public qui m’a proposé d’aller prendre un café. Il avait trouvé des partitions dans un grenier et voulait me les donner. Les chansons de Gustavino en faisaient partie. C’est une musique vraiment phénoménale et les paroles sont dignes des plus grands : Pablo Neruda et Jorge Luis Borges, par exemple. Loin de moi l’intention de faire la morale ou d’éduquer, mais j’aime pouvoir proposer quelque chose de nouveau, du moins d’un point de vue occidental. Cette musique dégage vraiment une atmosphère différente ! »