Le rideau se lève et la magie commenceGisèle Croës
Quel est votre premier souvenir à la Monnaie ?
Gisèle Croës (Galeriste) : C’est un souvenir assez intéressant dans la mesure où il ne me ramène pas dans la salle mais sur les planches. J’étais à l’université et j’avais un job d’étudiante pour lequel on m’avait demandé de faire de la figuration dans La bohème. C’était très amusant : les chanteurs étaient proches et nous, figurants, on s’amusait beaucoup. Ça a mis une ambiance magnifique, et a figuré les prémices de mon grand intérêt pour l’opéra. Je suis arrivée sur scène mais j’ai terminé dans la salle.
Quel est le dernier opéra ou concert qui vous a émue aux larmes ?
Orphée et Eurydice, c’était un spectacle extraordinaire ! C’est n’est peut-être pas le dernier opéra à m’avoir émue, mais c’est celui qui m’a le plus frappée et auquel je pense encore régulièrement. Souvent je pense à cette jeune femme étendue dans ce grand lit sous des édredons qui ressemblent à des nuages, qui sent et comprend tout mais ne peut répondre. C’est là tout l’argument de cette mise en scène, qui permet de comprendre d’une façon contemporaine une histoire éternelle : celle de l’amour et de la séparation.
Qu’est-ce qui rend la Monnaie si spéciale pour vous ?
Elle l’est pour beaucoup de raisons ! J’entretiens un rapport particulier avec la Monnaie, car j’y viens depuis 60 ans et je finis par m’y sentir comme chez moi : j’en ai vécu tous les événements, les difficultés, j’ai connu différents directeurs, et j’y ai rencontré beaucoup de monde, ce qui me donne un sentiment de pérennité. Aujourd’hui, Peter de Caluwe aborde l’opéra de manière révolutionnaire. Selon moi, il le rend lisible et accessible à tous à travers des productions plus contemporaines capables de toucher la jeune génération et lui donner par ce biais accès à la musique classique.
L’opéra est-il une forme d’art ultime – ou pas – pour vous ?
L’opéra est une forme d’art ultime, car il rassemble tous les arts et nous porte à la transfiguration, à la transcendance. D’abord, vous pénétrez dans un lieu magnifique, avec le mystère de la scène et le rideau face à vous : vous êtes prêt. Le rideau se lève et la magie commence, et elle n’est pas seulement musicale, elle est aussi visuelle, combinant tous les arts, ce qui laisse toute la place au rêve.
Quel est le rôle de la culture dans notre société actuelle ?
La culture est essentielle, car sans culture on ne peut pas développer son esprit. Le monde culturel nous apporte beaucoup il développe l’ouverture d’esprit, la curiosité, la réflexion, l’intérêt pour l’histoire passée, il donne des clés pour aborder le monde futur. Il est très important d’avoir un environnement culturel. Sans éducation et sans culture, l’Homme ne peut avancer.
Pourquoi les jeunes devraient-ils aller à l’opéra ?
C’est une question importante, délicate et difficile. Montrer une mise en scène traditionnelle aux jeunes ne leur parle pas parce qu’ils ne disposent pas des clés. Pour rendre l’opéra accessible, à la jeunesse il faut le transformer précisément comme on le fait ici à la Monnaie. Transfigurer l’opéra en quelque chose de neuf permet d’ouvrir les portes aux personnes qui n’y sont pas préparées.
Quel est l’opéra dont vous ne vous lasserez jamais ?
Tous les opéras de Mozart sont pour moi des opéras majeurs. Je ne serai jamais lassée de voir Così fan tutte, Don Giovanni, Le nozze di Figaro, ce sont des enchantements renouvelés. On y découvre souvent une signification différente.
Quel serait l’opéra que vous sauveriez pour l’éternité ? Et pourquoi celui-là ?
Si je pouvais faire deux choix, je choisirais le Ring de Wagner, parce que c’est un cycle extraordinaire, Wagner a inventé un nouveau mythe et Così fan tutte parce que… je l’aime (rire) ! C’est un très bel opéra à tous points de vue : la musique, les sentiments, l’éternel amoureux.