Marie De Ryck
Cheffe cordonnier
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Baignée d’un flot de musique, du son des outils et de l’inévitable odeur du cuir, Marie De Ryck applique de la colle sous le talon d’une magnifique chaussure turquoise à motifs dorés, en pleins préparatifs de Turandot, la dernière production de la saison 2023-24. Elle nous accorde quelques minutes en fin de journée pour évoquer son parcours professionnel.
En quoi consiste ton travail à la Monnaie ?
Principalement à confectionner les chaussures des productions. Mais aussi à gérer les stocks. En fonction des productions, des costumiers et costumières, nous devons soit fabriquer de nouvelles paires de chaussures, soit utiliser celles que nous avons déjà dans nos stocks, soit à en acheter. Cela dépend des besoins de la mise en scène. S’il faut quelque chose de très particulier, en termes de pointures, de couleurs ou de modèle, nous le réalisons toujours à la main dans notre atelier. Cela permet de faire du sur-mesure. Un essayage des chaussures à demi finies permet de les ajuster parfaitement aux pieds des artistes.
« Les endroits où l’on peut créer des chaussures, les concevoir avec l’équipe de production et les réaliser à partir de zéro jusqu’à ce qu’elles soient portées sur scène ne sont pas si nombreux. »
Combien de temps faut-il pour fabriquer une chaussure ?
Cela dépend. Dans une chaîne, on cherche à réaliser la chaussure le plus vite possible, et deux jours peuvent suffire. Mais la fabrication de pièces plus complexes peut prendre deux semaines. Pour The Time of Our Singing, nous avons produit une paire de chaussures à talon avec un cuir que nous avons fabriqué nous-même, et nous avons dû échantillonner des lanières de sandales. Un long travail a été nécessaire pour une paire de talons dans le style années 60 pour Rivoluzione e Nostalgia. Nous avons reproduit un modèle existant mais en changeant l’épaisseur des talons pour éviter qu’ils plongent malencontreusement dans certains trous du plateau. Nous avons utilisé une imprimante 3D pour obtenir la plus grande précision possible.
Quelle est ta formation ?
À 27 ans, j’ai commencé une formation en technologie orthopédique de la chaussure à la Haute École Thomas More de Geel. Auparavant, j'avais étudié le développement de produits à l’Université d’Anvers. J’ai également effectué plusieurs stages chez des fabricants de chaussures au Portugal, en Italie, et à Londres, chez John Amatus. À l’époque, on y produisait des séries limitées pour des marques prestigieuses comme Vivienne Westwood et Agent Provocateur.
Depuis quand travailles-tu à la Monnaie ?
Depuis septembre 2018, pour Die Zauberflöte. Donc cela fait environ 6 ans. J’ai longtemps voulu être réparatrice de chaussures. Mais on m’a fait comprendre que pour s’assurer la sécurité de l’emploi dans ce domaine, il fallait s’orienter vers l’orthopédie. J’ai donc commencé à travailler chez un orthopédiste à Louvain pendant mes études. J’y suis restée sept ans. J’ai appris beaucoup de choses, j’ai obtenu mon numéro INAMI… Puis quand j’ai vu l’offre pour le poste que j’occupe aujourd’hui, j’ai immédiatement postulé.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’aller à la Monnaie ?
La nature du travail. Les endroits où l’on peut créer des chaussures, les concevoir avec l’équipe de production et les réaliser à partir de zéro jusqu’à ce qu’elles soient portées sur scène ne sont pas si nombreux. Le poste englobe parfaitement mon double parcours : développement de produits et orthopédie. On crée des prototypes, et on doit veiller à ce que le chanteur ou la chanteuse se sente bien dans les chaussures et ne pense pas à ses pieds. Il arrive même parfois qu’on puisse soulager les problèmes orthopédiques de certains et certaines. Le plus souvent, il s’agit d’hallux valgus, d’orteils en marteaux ou autres déformations assez répandues.
« Ce que je préfère, c’est quand on réussit à combiner les souhaits esthétiques du metteur en scène, la conception des costumes, les grandes possibilités de la cordonnerie et le confort des chanteuses et des chanteurs. »
Depuis ton arrivée, quelles productions t’ont le plus marquée à la Monnaie ?
Les bottes colorées du Conte du tsar Saltane étaient vraiment très chouettes à faire. Il y avait beaucoup de défis à relever pour Bastarda aussi. Il a fallu produire presque à la chaîne certains modèles, ce qu’on n’a pas vraiment l’habitude de faire. Mais l’atelier pouvait vraiment fonctionner sans trop de directives de ma part, et on avait la possibilité de s’améliorer. Pour Der Rosenkavalier, nous avons fabriqué des cothurnes massifs afin de surélever les artistes à l’aide de grands talons en bois réalisés dans l’atelier menuiserie. Plus récemment, pour Die Walküre, afin d’accentuer la taille des géants, nous avons créé des chaussures d’apparence « normales » mais avec une hauteur supplémentaire (de sept centimètres) dissimulée à l’intérieur. Les danseurs et danseuses de La Gioconda, qui évoluaient sur un plateau recouvert d’eau, devaient porter des bottines imperméables. On a fermé les différents éléments de la chaussure avec de la silicone pour les rendre étanches. Les hautes bottes en latex rose des Contes d’Hoffmann ont été aussi intéressantes à fabriquer, car le latex est une matière un peu compliquée à travailler.
Que préfères-tu dans ton travail ?
La recherche. Ça change tout le temps. Il y a des jours d’une intensité incroyable, où tu veux inventer et créer, où tu dois résoudre des problèmes. Puis d’autres très apaisants où on trie les chaussures du stock. Mais ce que je préfère, c’est quand on réussit à combiner les souhaits esthétiques du metteur en scène, la conception des costumes, les grandes possibilités de la cordonnerie et le confort des chanteuses et des chanteurs.