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Les 8,5 opéras

de Philippe Boesmans

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7 min.

On purge bébé ! sera l’opéra numéro 8,5 de Philippe Boesmans à la Monnaie. Il couronne une collaboration artistique de presque quarante ans. En voici un aperçu.

1 - La Passion de Gilles (1983)

C’est un ancien directeur de la Monnaie, Gerard Mortier, qui, en engageant Philippe Boesmans, pose la première pierre de ce qui va devenir l’une des carrières d’opéra les plus marquantes pour la musique contemporaine européenne. Il fait donc appel à lui au début des années 1980 pour La Passion de Gilles (1983). Philippe Boesmans caresse d’abord l’idée de créer un « anti-opéra » à partir de passages de la vie de Gilles de Rais, le « Barbe-Bleue français ». Son côté avant-gardiste lui fait souhaiter « en finir avec ce genre ». Pourtant, cette expérience lui laissera une passion à vie pour cette forme d’art.

L’opéra est joué neuf fois à guichets fermés, avant qu’il ne soit décidé, à l’improviste, d’ajouter une représentation. L’affluence à cette dernière est si grande que le public occupe même les escaliers – fait inédit pour une nouvelle création.

1,5 - L’incoronazione di Poppea (1989)

En 1989, la Monnaie présente une nouvelle production de L’incoronazione di Poppea. De cet opéra inachevé de Monteverdi, seuls les passages chantés ont survécu, ainsi que des notes brutes qui donnent une idée de l’harmonie. La Monnaie demande à Philippe Boesmans d’en réaliser une nouvelle adaptation et une nouvelle orchestration, qui se distingueront par leurs accents modernes dans un style baroque. Le clavecin est même doublé par des sons provenant de synthétiseurs.

© Ruth Walz

Le travail sur Poppea aura une influence profonde sur l’écriture de Philippe : « J’ai beaucoup appris de Monteverdi, notamment le fait que chaque personnage a un profil vocal distinct, avec ses propres intervalles. » Il marque également le début d’une série de collaborations avec Luc Bondy, qui deviendra son metteur en scène (et librettiste) attitré.

2,5 - Reigen (1993)

La collaboration avec Luc Bondy se poursuit d’abord avec Reigen (1993), une adaptation de la pièce éponyme d’Arthur Schnitzler. L’histoire est une grande chaîne d’épisodes amoureux : la prostituée aime le soldat qui se languit de la femme de chambre, laquelle s’est entichée du jeune homme qui n’a d’yeux que pour la jeune épouse amoureuse de son mari, tandis que ce dernier est sous le charme d’une jeune dépravée elle-même éprise du poète, amant de l’actrice qui entretient une liaison avec le comte, lequel se réveille un beau matin aux côtés de la prostituée.

© Ruth Walz

Selon Philippe, l’atmosphère érotique permanente de cet opéra aurait été à l’origine d’un baby-boom au sein du personnel de la Monnaie. Cela reste à vérifier, mais ce dont nous sommes sûrs, c’est que la pièce est devenue l’un de ses plus grands succès. Elle est encore reprise de nos jours, notamment dans la réduction pour orchestre de chambre réalisée par Fabrizio Cassol.

3,5 - Wintermärchen (1999)

© Ruth Walz

Bernard Foccroulle, le successeur de Gerard Mortier (et compositeur de Cassandra), s’adresse également au duo Boesmans/Bondy pour commander un nouvel opéra. Le choix se porte sur le Conte d’hiver de Shakespeare. Les scènes sur la côte de Bohême (pardonnez à Shakespeare ses connaissances géographiques limitées) sont en grande partie en anglais et sont accompagnées de musique jazz-rock. Un défi pour le chef d’orchestre Antonio Pappano, qui a su intégrer aux parties orchestrales la musique de l’ensemble belge Aka Moon, largement improvisée autour du cadre donné par Philippe. Le mélange est bluffant.

4,5 - Julie (2004)

Julie, composé d’après Fröken Julie d’August Strindberg et créé en 2004 avec Luc Bondy sous la direction de Kazushi Ono, est un nouveau chef-d’œuvre. Dans cet opéra, nous vivons l’amour interdit entre Julie, la fille du comte, et Jean, son domestique. Ils se retrouvent dans la cuisine en marge d’une soirée, ravis jusqu’au délire par leurs rêves d’évasion, d’ascension sociale et d’amour. Au retour du comte, Kirsten, la cuisinière et concubine de Jean, fait tomber comme un couperet l’ordre social et moral.

© Ruth Walz

Alors que Wintermärchen est un long récit porté par une solide distribution orchestrale et chorale, Philippe Boesmans donne à Julie un cadre plus intimiste : « Cette fois, je souhaitais explicitement créer un opéra aux dimensions plus réduites. Trois chanteurs et un ensemble instrumental composé de six instruments à cordes, un piano, des percussions… c’est très différent d’un orchestre, mais cela ne donne pas moins de travail. Au contraire : chaque musicien devient un soliste et un virtuose ; il faut donc écrire pour chacun d’entre eux. À cet égard, il y a plutôt ‘plus’ que ‘moins’. »

5,5 - Yvonne, princesse de Bourgogne (2009)

En 2006 prend fin la résidence de Philippe Boesmans comme compositeur à la Monnaie, et l’année suivante il démissionne de ses fonctions à la RTBF. Il se consacre pleinement à sa carrière musicale. En 2009, il livre son dernier opéra en collaboration avec Luc Bondy : Yvonne, princesse de Bourgogne, est créé à l’Opéra de Paris, puis à la Monnaie.

La pièce de théâtre éponyme de Witold Gombrowicz – pièce absurde qui raconte l’histoire d’une princesse laide, apathique et taciturne –, a beaucoup amusé Philippe, et la « comédie tragique » qu’il en a tirée est imprégnée du même humour noir.

6,5 - Au monde (2014)

Au monde, créé en 2014 à la Monnaie, marque la première collaboration de Philippe Boesmans avec Joël Pommerat. Le metteur en scène a pour méthode de retravailler le texte de ses propres pièces pour en faire des livrets. Dans Au monde, qui remportera l’International Award for Best World Premiere, un riche industriel arrange sa succession en faveur de son fils, un soldat de retour de la guerre. L’atmosphère au sein de la famille est lourde et oppressante, pleine d’ambiguïtés et de non-dits. Le fils est-il le tueur en série qui terrorise la région ? Et quel rôle la fille adoptive joue-t-elle ? La parole leur étant donnée, les femmes – deux sœurs et la femme étrangère – veillent à ce qu’un lien persiste entre les protagonistes, sans que jamais n’éclatent les tensions sous-jacentes.

7,5 - Pinocchio (2017)

Un nouvel opéra pour un nouveau théâtre ! En 2017 et après deux ans de rénovation, le Théâtre Royal de la Monnaie rouvre ses portes avec Pinocchio. C’est encore une pièce de Joël Pommerat qui sert de point de départ au livret qu’il écrit, et sa version – au-delà de Disney – rejoint l’histoire originale de Carlo Collodi. La musique de Philippe Boesmans est très proche de l’intrigue : aliénante et atonale dans le ventre de la baleine, rêveuse dans les rencontres avec la fée, franche et libre dans les scènes de cirque. Et, chose rare dans les opéras contemporains, l’émouvant thème principal est une de ces mélodies éternelles que l’on peut fredonner en sortant du spectacle.

8,5 On purge bébé !(2022)

Et maintenant, presque quarante ans après La Passion de Gilles, ce dernier opéra de Philippe... son Falstaff. C’est aussi une première adaptation à l’opéra d’une pièce de l’auteur français bien connu pour ses vaudevilles, Georges Feydeau. Ainsi, Philippe « termine en toute légèreté »… avec un ultime clin d’œil.