
Pierre Audi
1957 – 2025
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La nouvelle du décès inopiné de Pierre Audi dans la nuit du 2 au 3 mai a fait l’effet d’un choc et a plongé la communauté lyrique internationale dans un deuil profond et solidaire. Peter de Caluwe, notre directeur général et artistique, revient sur cette perte immense et rend hommage à un artiste et homme de cœur qui aura marqué la Monnaie comme peu d’autres au cours de la dernière décennie, et il y a quelques mois encore avec le dernier volet du Ring de Wagner.
« Pierre Audi était sans conteste l’une des figures majeures du monde lyrique, et une icône culturelle comme il en existe peu. Son approche de l’opéra a inspiré toute une génération de metteurs en scène et de directeurs artistiques. Il est salué à juste titre comme un visionnaire qui a fondamentalement renouvelé le langage lyrique. Pierre est né en 1957 à Beyrouth, la capitale du Liban. Installé en Europe avec sa famille, il fonde l’Almeida Theatre à Londres en 1979, où il met en scène plusieurs productions de théâtre et d’opéra, avant de rejoindre le Nationale Opera à Amsterdam, où il restera trente années. J’ai eu la chance de pouvoir le côtoyer pendant seize ans au cours de cette période florissante.
Pierre était pour moi comme un frère artistique, un complice, mais aussi une source d’inspiration. C’est lui qui, avec la directrice exécutive Truze Lodder, m’a permis de m’épanouir et m’a insufflé toute la confiance nécessaire pour apprendre le métier. Dès notre première rencontre, nous avons ressenti une complicité qui a perduré jusqu’à aujourd’hui : nous avions prévu de discuter longuement ce week-end encore. Ces conversations avec Pierre étaient toujours enrichissantes, inspirantes et encourageantes, mais aussi critiques, surtout lorsqu’il était question de la situation géopolitique et de la montée de l’extrémisme dans le monde, ou de telle décision incompréhensible dans le carrousel des nominations de la scène lyrique, et encore du traditionalisme de certaines maisons qui menacent de faire de l’opéra un genre figé, poussiéreux et, en définitive, obsolète. Pierre s’est toujours opposé à ces tendances réactionnaires, non pas en montant sur les barricades, mais par son approche hybride et interculturelle de la création lyrique.
À la Monnaie, Pierre a concrétisé un rêve qu’il n’avait jamais osé réaliser à Amsterdam : une mise en scène de Pelléas et Mélisande, l’occasion pour moi de lui présenter Anish Kapoor. Ce fut le premier d’une longue série de projets : la double soirée avec les deux Iphigénies de Gluck, l’Orlando de Haendel, les reprises d’Alcina et de Tamerlano, ses productions historiques à Drottningholm, la première mondiale de Penthesilea de Pascal Dusapin et, enfin, la conclusion de notre Ring. Götterdämmerung devait être sa dernière création. Le symbolisme est indéniable. Le crépuscule des dieux. La fin d’une génération.









Nous lui avons dédié hier soir la dernière représentation d’I Grotteschi. Après tout, c’est avec Il ritorno d’Ulisse in patria que notre relation artistique a débuté. C’est lui qui m’a fait découvrir Monteverdi. Ulisse était également sa dernière production au Festival d’Aix-en-Provence, dont il était le directeur artistique depuis 2019. Avec Leonardo García-Alarcón, qui dirigeait déjà cette production à l’époque, les musiciens de la Cappella Mediterranea et les solistes, nous avons estimé important de lui dédier ce Monteverdi. L’interprétation de la Troisième symphonie de Mahler par Alain Altinoglu, son partenaire musical pour les deux derniers volets du Ring à la Monnaie, est également dédiée à sa mémoire.
Nos pensées vont à ses collègues d’Aix, mais surtout à son épouse Marieke et à leurs enfants, Sophia et Alexander. Pierre s’était récemment promis de moins voyager et de moins travailler pour pouvoir passer plus de temps avec eux. Le destin en a décidé autrement.
Le décès de Pierre est comme un cycle qui se referme. Bien trop tôt.
– Peter de Caluwe