Les couleurs de Das Rheingold
Dans l’atelier peinture de la Monnaie
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Pour fabriquer un Ring, il faut bien plus qu’une forge, il faut toute une usine créative. À la Monnaie, ce rôle est tenu par les Ateliers : décors, costumes et accessoires passent entre de nombreuses mains avant d’arriver sur scène. L’un des passages obligés dans ce parcours est l’atelier peinture. Quel a été son travail pour Das Rheingold ? Quels ont été les défis spécifiques de cette production ?
Un immense espace, réparti sur deux étages, baigné de lumière. On y entend de la musique, çà et là quelques pas feutrés, le doux bruissement d’un rouleau de peinture… Et, devant la baie vitrée, trône un crocodile noir de six mètres de long dont on peaufine les écailles. Nous sommes dans l’atelier peinture de la Monnaie, où les dernières retouches sont effectuées sur l’un des éléments visuels les plus percutants de Das Rheingold.
Cette production a demandé un considérable travail de finitions. Les sols, les murs, les grands bas-reliefs, les deux crocodiles, même la poutre de métal des Nibelungen ; tout a été patiné par une équipe de huit personnes, le double de ce que nécessite une production normale.
Par exemple, les sols noirs ont reçu une couche de peinture satinée, les murs blancs une couche matte. La douzaine de bas-reliefs construits dans nos ateliers décors ont été recouverts par une couche de tarlatane (une gaze fine) ou de fibre de verre épaisse, qui protègent et durcissent la surface en polystyrène.
En effet, ces grandes structures devaient pouvoir être manipulées librement sur scène sans risque d’endommagement. Plusieurs couches de peinture appliquées au chiffon et au « mocho » (un balai de nettoyage) ont permis de leur donner une apparence de marbre. Les deux crocodiles qui figurent sur scène ont été peints en noir, avec quelques touches de vert sombre, puis lustrés au vernis. L’immense poutre de métal manipulée par Alberich et Mime a été enduite de deux produits : l’un à base métallique et l’autre liquide qui, réagissant avec le premier, donne un effet de rouille réaliste. La poutre est ensuite vernie pour fixer la rouille et éviter qu’elle s’enlève une fois manipulée sur scène.
Mais d’après Nathalie Salaméro, peintre décoratrice à la Monnaie, c’est l’apparition d’un grand cercle doré sur un mur au fond de la scène, dans la dernière partie du spectacle, qui représente le plus grand défi technique pour l’équipe. « Ce cercle doré doit être invisible, sur un mur blanc. Tout doit être uniformément blanc, le cercle est bien là, mais n’apparaîtra que par la suite. Cela fait un moment qu’on y travaille. Les essais en atelier étaient concluants, mais sur le plateau cela reste compliqué. »
Le disque doré résulte d’un long processus de recherches nécessaires pour identifier la matière la plus adéquate aux besoins de la production, surtout en termes de couleur et de capacité de réflexion. Le choix s’est porté sur des feuilles de métal dorées auxquelles une patine supplémentaire donne l’aspect d’un vieux miroir. La principale difficulté pour rendre ce cercle invisible réside dans le fait que les toiles blanches qui l’entourent sont peintes, tandis que la couche dissimulant l’or est en kaolin, une argile blanche dont la couleur finale, une fois appliquée, est parfois aléatoire. Des essais continuent d’être effectués sur scène pour obtenir le meilleure résultat possible.
Un travail en perpétuel changement
Travailler avec un metteur en scène visionnaire et perfectionniste tel Romeo Castellucci représente forcément un grand défi pour nos équipes techniques et artistiques. « Avec lui, il s’agit souvent de projets très conceptuels », nous explique Nathalie. « Nous n’avons pas de maquette tout à fait concrète sur laquelle nous baser parce que le projet est en constante évolution. La recherche se fait jusqu’au bout. C’est toujours un peu une expérience. Heureusement, la collaboration avec Romeo peut être assez directe, toutes les questions sont bienvenues. Il n’y a pas cette distance qui peut parfois exister avec d’autres metteurs en scène… »
Dans notre atelier peinture, on ne fait jamais deux fois la même chose. Les recettes qui y sont créées pour les spécificités d’une production doivent toujours être réinventées pour une autre. C’est un lieu où les idées prennent forme avant de briller sur scène. En découvrant la beauté plastique de Das Rheingold, ayez une petite pensée pour Camille, Louisa, Joseph, Joséphine, Mounir, Nathalie, Sylvia et Peter qui ont donné vie à ses blancs, ses noirs et son or.