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Cinq choses à savoir

Sur Benvenuto Cellini

Thomas Van Deursen
Temps de lecture
5 min.

Qui était vraiment l’homme se cachant derrière la statue de Persée tenant la tête de Méduse ? Pourquoi a-t-il fallu attendre la première de cet opéra de Berlioz à la Monnaie pendant plus de 180 ans ? Quelles sont les spécificités de la partition ? Qu’est-ce qu’il se prépare dans nos ateliers depuis bientôt un an ? Voici cinq choses qu’il vous faut impérativement savoir sur notre première production de l’année 2026.

1. D’après la vie d’un célèbre orfèvre et sculpteur

Vous vous trouvez devant une cathédrale, un tableau, une statue, une œuvre d’art centenaire, imposante et immobile. Après quelques exclamations ou un selfie, vous arrive-t-il de contempler cette œuvre en imaginant quelle a été la vie de ses créateurs et créatrices ? En 1838, les auteurs Léon de Wailly et Auguste Barbier se sont inspirés de l’autobiographie du sculpteur et orfèvre florentin Benvenuto Cellini pour écrire un livret d’opéra romançant la création de sa statue la plus célèbre : Persée tenant la tête de Méduse, située sur la Piazza della Signoria à Florence.

Il faut dire que la personnalité de cet artiste de la Renaissance fascine. Si ses talents prodigieux, en particulier celui d’orfèvre, lui ont valu les faveurs de plusieurs papes, du Duc de Mantoue, du roi de France François Ier et des Médicis, il est aussi réputé pour son tempérament sanguin qui l’a conduit plusieurs fois en prison. Banni de Florence à seize ans à cause de bagarres ayant troublé l’ordre public, Benvenuto Cellini aurait également commis, au cours de sa vie, pas moins de quatre homicides, motivés par la vengeance ou la rivalité professionnelle.

Dans l’opéra de Berlioz, le pape Clément VII confie à Benvenuto Cellini la tâche de sculpter dans le bronze une statue de Persée avant la fin du Carnaval. En quête de gloire et de fortune, il accepte sans hésiter, bien que son atelier manque de temps et de métal. La réalisation de l’œuvre est aussi freinée par sa vie sentimentale tumultueuse : il est éperdument amoureux de Teresa, la fille du trésorier du pape, Balducci. Malheureusement, ce dernier souhaite que sa fille épouse Fieramosca, artiste rival de Cellini et désormais aussi son rival en amour.

2. Une première bruxelloise pour Berlioz

« Bref, l’opéra fut joué. On fit à l’ouverture un succès exagéré, et l’on siffla tout le reste avec un ensemble et une énergie admirables », écrivit Berlioz dans ses Mémoires à propos de Benvenuto Cellini. L’œuvre avait en effet de quoi désarçonner le public : un livret extravagant, loin des thèmes du Moyen-Âge traditionnels du grand opéra français ; un artisan à la fois moralement ambigu et attachant comme protagoniste ; et une structure visionnaire reliant les numéros par des enchaînements fluides et audacieux… Malgré ses qualités, l’œuvre ne s’est pas inscrite au répertoire, et n’avait encore jamais été jouée à la Monnaie. Une injustice envers le public bruxellois qu’il était temps de réparer. Pour l’occasion, Alain Altinoglu proposera une version inédite de l’œuvre, mêlant trois partitions existantes du compositeur : l’originale, dite Paris 1, la version censurée jouée à la création, appelée Paris 2, et la version dite de Weimar, enrichie de changements suggérés par Liszt dans les années 1850. À la Monnaie, l’opéra sera joué selon la structure de Paris 2, incluant quelques ballets issus de Paris 1 et des adaptations tirées de la version de Weimar.

3. Une musique exaltante

Berlioz fait partie de ces compositeurs dont la personnalité se devine dès les premières notes. Impossible à rattacher à une école particulière, sa musique est d’une grande originalité. Benevenuto Cellini illustre parfaitement son penchant pour les formations imposantes, voire colossales, son amour des orchestrations riches en timbres et en couleurs, ainsi que son écriture rigoureuse, libérée de tout académisme et faisant place à une expression des sentiments très personnelle et exaltée. Il en découle des inspirations mélodiques uniques, un orchestre qui conduit l’intrigue, jouant à armes égales avec les voix, des passages virtuoses pour des solistes très sollicités – le rôle-titre, par exemple, est un véritable exercice d’endurance – et plusieurs scènes chorales massives, qui ne manqueront pas de remplir la Grande Salle d’exaltantes vagues sonores.

4. Des débuts exubérants

L’un des objectifs la nouvelle directrice générale et artistique de la Monnaie, Christina Scheppelmann, était de faire découvrir au public de la capitale une œuvre de transition clé dans l’histoire de l’opéra français. C’est dans cette optique qu’elle a choisi Benvenuto Cellini comme première production officielle de son mandat, qui marquera également les débuts bruxellois de Thaddeus Strassberger. Il fallait trouver un metteur en scène peu intimidé par l’exubérance pour s’attaquer à une pièce aussi grandiose, où la demi-mesure ne convient pas. Connu pour son approche maximaliste du théâtre et de l’opéra, Thaddeus Strassberger s’est emparé de l’œuvre de Berlioz et de son univers carnavalesque pour en faire une véritable célébration, où le seul mot d’ordre est : anything goes.

5. Le travail herculéen des Ateliers de la Monnaie

La vision de Thaddeus Strassberger mettra en valeur toute la richesse et l’expertise des Ateliers de la Monnaie. La structure principale, installée sur une tournette, occupe tout le volume de notre scène, et s’accompagne d’un immense cyclorama imprimé et lumineux en fond. L’ensemble du décor a fait l’objet d’une prévisualisation numérique grâce à un logiciel d’architecture en 3D utilisé dans le secteur de la construction. Le modèle principal a ensuite été séparé en différentes parties, chacune traitée individuellement pour permettre une découpe numérique très précise. Des bustes, un pied gigantesque, un char, une réplique du Colisée : notre atelier de sculpture est en pleine effervescence depuis plusieurs mois. La plupart de ces éléments seront ensuite patinés façon marbre dans notre atelier peinture. Depuis les cintres, descendront tour à tour un signe SPQR, dont chaque lettre mesure près de deux mètres de large, des palmiers et des nuages aux contours lumineux, ou encore des soies aériennes où flotteront trois figurantes.

La scénographie de Benvenuto Cellini nécessite bien sûr une collaboration soutenue entre nos différentes équipes. Ainsi, pour la scène du carnaval, plusieurs costumes sont agrémentés d’effets spéciaux réalisés par nos accessoiristes, comme des explosions de confettis, des prothèses d’où jaillissent des litres de vin, ou le corps d’un centaure rattaché à un char. Le costumier Giuseppe Palella a réalisé plus de soixante maquettes aux couleurs chatoyantes, reproduisant en détail chaque silhouette de la production. À cela s’ajoutent des effets pyrotechniques et un vaste video mapping couvrant la surface frontale du décor, destiné à représenter fumée, flammes ou nuages. Pour mener à bien cet ambitieux projet, notre équipe son et vidéo a simplifié numériquement le volume de l’imposant décor sous la forme d’un cylindre, décomposé en plusieurs segments pouvant ensuite être animés individuellement par pas moins de cinq projecteurs.

Ce travail herculéen mobilise les Ateliers de la Monnaie depuis près d’un an, et témoigne une fois de plus combien l’artisanat constitue le cœur battant de notre maison d’opéra !