L’Enfant et les Sortilèges
Argument
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Lisez le synopsis complet de L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel, accompagné d’extraits musicaux, d’anecdotes sur la genèse de l’opéra et d’un petit avant-goût du concert.
PREMIÈRE PARTIE
Dans la maison
Dans sa chambre, à l’heure des devoirs, un enfant se laisse aller, peu à peu, à des comportements défendus, entre paresse et agressivité. Sa mère, sans chercher les raisons de cette méchante humeur, répond au silence buté et à l’insolence d’une langue tirée par une escalade de reproches, gronderies et punitions, l’invitant à la réflexion.
L’autoritarisme parental déclenche la colère destructrice de l’Enfant contre objets, meubles et animaux ; l’expression du rejet et l’engrenage grisant de la violence le laissent saoul d’être « libre et méchant ». Mais des sortilèges vont à leur tour se déchaîner : prenant vie et accédant à la parole, l’environnement de l’Enfant va multiplier les attaques culpabilisantes à son encontre.
L’Enfant passe du simple étonnement devant la grotesque déambulation d’un Fauteuil et d’une Bergère qui se plaignent de lui sans trop lui accorder d’attention, à l’inquiétude devant l’affolement et les lamentations de l’Horloge, puis la peur lorsqu’il se voit menacé par le Feu.
Disant la nostalgie qui fait suite à leur séparation, les personnages agrestes de la tapisserie lacérée éveillent chez l’Enfant la tristesse et lui font prendre conscience de sa solitude. La Princesse porte le tout à son comble en faisant réaliser à l’Enfant qu’elle est son premier amour mais qu’il ne pourra être son preux sauveur puisqu’il a déchiré le livre de contes ; la disparition de la Princesse désole tant l’Enfant qu’il en devient poète et la compare au « cœur de la rose ».
L’Arithmétique, sous les traits d’un grinçant Petit Vieillard assisté d’une cohorte de Chiffres, profite de l’alanguissement de l’Enfant pour l’amener au bord de la folie en l’étourdissant de faux calculs. C’est le Chat qui, se détournant pour miauler d’amour sous les étoiles, sort l’Enfant de l’enfermement et le conduit en un lieu où il sera jouet d’autres sortilèges.
La Genèse I : Colette et Ravel
En 1900, dans le salon musical parisien de Marguerite de Saint-Marceaux, rien ne présageait que le compositeur Maurice Ravel et l’écrivaine Colette, 25 et 27 ans respectivement, écriraient un opéra ensemble. Lui était intimidé, elle le trouvait distant, bien qu’elle avoua volontiers un « attachement auquel le léger malaise de la surprise, l’attrait sensuel et malicieux d’un art neuf ajoutaient des charmes »... Quatorze ans plus tard, quand le directeur de l’Opéra de Paris lui commanda le livret d’un ballet-féerie, Colette rédigea en moins de huit jours un poème en prose intitulé Ballet pour ma fille. Et quand Rouché suggéra de proposer à Ravel d’en écrire la musique, l’autrice ne manqua pas de souligner son enthousiasme. Le compositeur accepta, mais fut mobilisé pour le front de Verdun en 1916...
DEUXIÈME PARTIE
Dans le jardin
L’Enfant retrouve avec joie le jardinet, dont les occupants ont toutefois aussi à se plaindre de lui : l’Arbre qu’il a entaillé, ces messieurs Libellule et Chauve-Souris qu’il a privés de leur compagne, etc. L’Écureuil, qu’il a enfermé et griffé de sa plume d’écolier (symbole des devoirs), donne quant à lui une leçon de prudence à la Rainette sans jugeotte, et adresse à l’Enfant un discours libertaire.
L’Enfant s’attendrit, prend conscience de sa cruauté et de ses conséquences : Chat et Chatte s’aiment, le peuple du jardin joue sans lui. Il pousse un cri de détresse, « Maman ! », qui déclenche panique et désir de vengeance chez les animaux. Ils usent à leur tour de violence et, dans leur mêlée pour « châtier » l’Enfant, blessent un jeune écureuil, à leur grande honte.
L’Enfant gagne alors son pardon en secourant l’écureuil blessé. Impuissantes à soigner les blessures qu’elles ont infligées à l’Enfant, les Bêtes unissent leurs forces pour le reconduire à sa maison ; elles s’efforcent d’appeler à leur tour « Maman ! » et font cadeau à l’Enfant d’un chœur consolateur qui le proclame bon, sage et doux…
La Genèse II : « Chère Madame »
« La guerre prit Ravel, fit sur son nom un silence hermétique, et je perdis l’habitude de penser à L’Enfant et les Sortilèges », se rappela Colette des années plus tard. Au sortir de la Première Guerre mondiale, le projet resta dans les limbes. Victime d’une dysenterie puis d’une péritonite pendant le conflit, Ravel fut envoyé en convalescence en 1916, puis démobilisé en 1917 quelques mois après le décès de sa mère. Abattu par le deuil, il se mura dans le silence et l’isolement. Deux ans plus tard, il écrivit à Colette :
« Chère Madame,
Dans le même temps que vous manifestiez devant Rouché le regret de mon silence, je songeais, du fond de mes neiges, à vous demander si vous vouliez encore d’un collaborateur aussi défaillant. L’état de ma santé est ma seule excuse : pendant longtemps, j’ai bien craint de ne pouvoir plus rien faire. Il faut croire que je vais mieux : l’envie de travailler semble revenir. Ici, ce n'est pas possible ; mais, dès mon retour, au commencement d’avril, je compte m’y mettre, et commencer par notre opéra... »
L’œuvre fut créée le 21 mars 1925 à l’Opéra de Monte-Carlo. Ravel et Colette avaient 50 et 52 ans...
Cet argument est issu d’un programme publié par la Monnaie en 2001, lors d’une coproduction avec l’Opéra national de Lyon. Il est publié avec leur aimable autorisation.