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Tout ce que vous devez savoir sur « Les Contes d’Hoffmann »

Thomas Van Deursen
Temps de lecture
7 min.

Cette saison, nous célébrons le 200e anniversaire de la naissance de Jacques Offenbach avec une nouvelle production des Contes d’Hoffmann, sous la houlette de Krzysztof Warlikowski et dirigée par Alain Altinoglu. Testament musical du compositeur, cet opéra transforme le poète E.T.A. Hoffmann en protagoniste de trois de ses propres contes. Du récit fantastique à l’archéologie musicale de la partition en passant par les choix de mise en scène, nous démêlons pour vous les entrelacs de cette histoire méandreuse.

LE(S) CONTE(S)

À la taverne de Luther, Hoffmann attend avec impatience de pouvoir rejoindre Stella qui interprète le Don Giovanni de Mozart dans la salle voisine. La chanteuse lui a envoyé une lettre contenant la clef de sa loge qu’intercepte le conseiller Lindorf, l’un de ses soupirants. Hoffmann est accompagné de La Muse souhaitant, sous les traits de son meilleur ami Nicklausse, ranimer en lui sa ferveur artistique. Encouragé par un groupe d’étudiants et pris de boisson, Hoffmann se met à raconter ses trois histoires d’amour…

Images de scènes des « Contes d’Hoffmann » après la première parisienne
Images de scènes des « Contes d’Hoffmann » après la première parisienne

C’est le grand soir pour le scientifique Spalanzani qui va dévoiler à ses invités sa nouvelle création : une automate appelée Olympia. Ses yeux, payés avec un chèque sans provision, ont été fournis par un certain Coppélius. Ce charlatan vend à Hoffmann des lunettes qui lui font voir en Olympia une vraie femme. Il tombe éperdument amoureux d’elle malgré les avertissements de Nicklausse. Alors qu’il valse avec l’automate, Hoffmann trébuche et ses lunettes se brisent. Ayant découvert la supercherie financière dont il a été victime, Coppélius fait irruption pour se venger et détruit Olympia sous les yeux de la foule qui ricane de la naïveté du poète.

Antonia, la jeune fille du conseiller Crespel, vit sous l'emprise d'une terrible maladie. Elle doit à tout prix éviter de chanter malgré la beauté miraculeuse de sa voix héritée de sa mère défunte qui était elle-même une célèbre cantatrice. Hoffmann et Antonia s'aiment mais ont été séparés par Crespel, le poète encourageant sa fille à poursuivre une carrière musicale. Hoffmann profite d’une brève absence paternelle pour s’introduire dans la maison. À son retour, Crespel reçoit la visite du terrifiant docteur Miracle qui lui propose de soigner sa fille. Caché, le poète apprend la maladie dont souffre Antonia et fait à celle-ci promettre d'abandonner le chant. La jeune fille accepte à contrecœur mais, laissée seule, elle est ensuite persuadée de poursuivre son rêve par le docteur Miracle qui conjure le spectre de sa mère. Antonia enchaîne les vocalises et tombe mourante dans les bras de son père.

Un palais à Venise. Hoffmann, désabusé par ses expériences précédentes, raille l'amour et célèbre l'ivresse en jurant de ne pas succomber aux charmes de la courtisane Giulietta. Celle-ci relève le défi de le séduire et, sous les ordres du capitaine Dapertutto, de lui voler son reflet à l'aide d’un miroir magique. Hoffmann ne résiste pas et la courtisane parvient à ses fins. Schlemil, une précédente victime de Giulietta et Dapertutto, tente de sauver Hoffmann, qui ne veut rien entendre. Les deux hommes se provoquent en duel, Schlemil est tué et Giulietta prend un nouvel amant.

De retour à la taverne de Luther, Hoffmann, complètement ivre, jure de renoncer à l’amour. Stella apparaît et, découvrant son état pitoyable, repart au bras du conseiller Lindorf. Resté seul avec le poète, Nicklausse dévoile son identité de Muse et lui déclare qu’ « on est grand par l’amour et plus grand par les pleurs »…

« RIEN N'EST PLUS FANTASTIQUE ET PLUS FLOU QUE LA VIE REELLE. » - E. T. A. HOFFMANN

Au Théâtre de l’Odéon, à Paris en 1851, Jacques Offenbach assiste à une représentation d’une pièce intitulée Les Contes d’Hoffmann. Des années plus tard, en 1876, il apprend que l’un des auteurs, Jules Barbier, adapte sa propre pièce en un livret attribué au compositeur Hector Salomon. Ce dernier accepte de céder le projet à son collègue. L’écriture est laborieuse et, en 1880, conscient de son mauvais état de santé, Offenbach redouble d’efforts dans l’espoir de vivre assez longtemps pour compléter son œuvre… Il décède malheureusement quatre mois avant la première, le manuscrit entre les mains.

Jacques Offenbach dans les années 1860, photographié par Nadar
Jacques Offenbach dans les années 1860, photographié par Nadar

Durant toute la genèse de son opéra-fantastique, le compositeur a multiplié les versions. Après sa mort, ses collaborateurs et ses interprètes sont obligés de mettre de l’ordre dans un dédale de couplets et d’ensembles pour reconstituer une œuvre achevée. Ernest Guiraud se charge d’orchestrer les pages laissées sans instrumentation, de composer des récitatifs mais aussi d’effectuer des coupures suivant les directives du metteur en scène Léon Carvalho qui décide de supprimer l’acte « de Venise ». Au lendemain de la première, l’éditeur Choudens imprime deux partitions : celle de l’Opéra Comique, et une seconde avec les récitatifs ajoutés ainsi que l’acte vénitien, réduit à un seul tableau condensé. Vers la fin des années 1900, Choudens publie une version « définitive » qui fait référence pendant plusieurs décennies.

À partir des années quarante, les héritiers d’Offenbach commencent à vendre leur patrimoine et la Bibliothèque Nationale de France acquiert la grande partition autographe pour chant et piano orchestrée et complétée par Ernest Guiraud de l’acte d’Antonia. Le début des années 1970 voit la découverte de nouvelles sources capitales. La famille du compositeur met à la disposition du musicologue allemand Fritz Oeser plus de milles pages émanant de leurs archives. Il y manque pourtant encore trop de matière pour parler d’une édition définitive. Au milieu des années 1980 de nouveaux manuscrits essentiels sont vendus aux enchères et l’on découvre un livret déposé au bureau de la censure parisienne de l’époque. Ces manuscrits sont exploités par le musicologue Michael Kaye qui publie une partition hybride et incomplète, mais beaucoup plus proche du drame conçu par Offenbach. Enfin, une dernière trouvaille faite au début des années 1990 permet de compléter l’acte de Venise…  

Depuis 2005, Michael Kaye et le musicologue français Jean-Christophe Keck collaborent à l’élaboration d’une édition exhaustive et malléable des Contes d’Hoffmann. D’après eux, l’opéra est devenu, par la force des choses, une œuvre collective, ouverte aux choix artistiques des chefs d’orchestre. C’est dans ce même état d’esprit que notre directeur musical Alain Altinoglu a choisi d’interpréter cette nouvelle édition à la Monnaie.

LA MISE EN SCÈNE

À Bruxelles, en mai 2019, un petit local situé au cœur de nos Ateliers accueille une présentation de Krzysztof Warlikowski qui détaille sa vision des Contes d’Hoffmann à un groupe restreint de privilégiés pour la nouvelle production du célèbre opéra de Jaques Offenbach. Quel point de vue adopter face à l’histoire problématique de cette œuvre, à la complexité formelle de sa narration ? Comment s’attaquer à un opéra dont ni la partition ni le livret ne présentent une structure fixe ? Avec l’aide de ses collaborateurs habituels, Warlikowski imagine une mise en scène capable de se nourrir de cet aspect volatile. Malgré ses numéros musicaux célébrissimes, l’œuvre reste ouverte, reste à redécouvrir, à redéfinir.

Au niveau dramaturgique, cette nouvelle production s’attache à plusieurs thèmes intrinsèquement liés à la notion de théâtre, notamment grâce au décalage provoqué par la dimension intimiste du récit et des drames humains qui le traversent et sa dimension monumentale, lyrique, fantasmée. Le second aspect essentiel de l’approche du metteur en scène polonais se concentre sur l’héritage cinématographique américain. Qu’il s’agisse d’éléments inspirés par A Star Is Born, The Shining ou encore Inland Empire, l’histoire de l’opéra est racontée à travers le prisme du 7e art. L’émancipation d’une femme énigmatique et plurielle, les déboires d’un réalisateur en crise, ses addictions, ses divagations subjectives, tout se prête à une exploration méta-textuelle du dialogue mystérieux entre la fable et le conteur, l’artiste et son œuvre

Les contes, la partition et notre production forment trois chapitres d’une seule et même histoire commencée il y a bien longtemps avec le poète E. T. A. Hoffmann et l’inspiration qui le guida à écrire ses premières pages, une histoire n’attendant qu’à pouvoir se frayer un chemin dans l’imaginaire de tous ceux qui l’écoutent.

Rédigé par Thomas Van Deursen