La Monnaie / De Munt LA MONNAIE / DE MUNT

Anne Sofie Von Otter

Dans la peau de la comtesse

Jasper Croonen
Temps de lecture
5 min.

Des concerts pour les grands de ce monde et une carrière de plusieurs décennies au sommet du monde lyrique. Mais de qui parle-t-on ici ? De Anne Sofie von Otter ou de la comtesse dans La Dame de pique ? On pourrait croire que Tchaïkovski avait eu la grande dame suédoise à l’esprit lorsqu’il a composé son opéra, et pourtant c’est seulement maintenant qu’elle fait ses débuts dans le rôle, ici à la Monnaie. « Je n’aurais jamais osé interpréter la comtesse auparavant. Malgré son rôle relativement modeste dans l’histoire, elle est le personnage clé de cette œuvre. Et ce rôle offre tellement de possibilités... »

De quelle manière ?

Anne Sofie von Otter : La comtesse est souvent dépeinte comme une femme lunatique et irritable, mais en même temps, on peut en faire un personnage très fragile ou exagérément comique. Dmitri Golovnin (qui chante Hermann) m’a dit avoir vu un enregistrement d’une version théâtrale où elle était interprétée comme étant une vraie garce (rires). Je pense que cela s’explique par le fait que Tchaïkovski n’en dit que très peu sur son histoire. Dans la version de Pouchkine, on en apprend un peu plus sur elle, mais là aussi, il s’agit principalement d’informations de seconde main. Dans les deux œuvres, ce sont les autres personnages qui parlent d’elle. Cela lui confère une aura de mystère, presque de légende. Ce qui nous offre la possibilité, au metteur en scène David Marton et à moi-même en tant qu’interprète, d’étoffer le personnage à notre guise.

© Bernd Uhlig
À quelle comtesse pouvons-nous nous attendre à la Monnaie ?

C’est encore difficile à dire pour l’instant. David est quelqu’un de très attaché au processus collaboratif : nous apportons tous nos propres idées, notre propre expertise. Le spectacle connaît encore toute une évolution pendant les répétitions. Personnellement, je trouve très agréable de travailler de cette façon. Pour être honnête, je n’aime pas vraiment les metteurs en scène qui définissent dès le départ le moindre mouvement. Ici, il est très excitant de découvrir petit à petit comment le puzzle s’assemble.

Dans l’opéra, votre personnage se souvient de ses performances « comme si c’était hier ». Y en a-t-il une qui vous soit restée en mémoire de manière aussi vive ?

Mon premier Cherubino (Le nozze di Figaro) à Covent Garden et le cycle Mozart avec Gardiner sont encore bien présents dans mon esprit. Mais le summum absolu est la production de Rosenkavalier avec Carlos Kleiber en 1994 au Staatsoper de Vienne, où j’incarnais Octavian. C’est comme si toutes les pièces du puzzle s’étaient mises en place : l’orchestre était alors au sommet, et Carlos Kleiber aussi, bien entendu. Si je veux qu’on se souvienne de moi, j’aimerais que ce soit pour cette production.

Lorsque la comtesse parle de la gloire du passé, cela n’évoque-t-il pas le caractère éphémère de votre propre carrière ?

Je remarque surtout qu’à ce stade de ma carrière, je reçois beaucoup moins de rôles intéressants taillés pour moi. Bien sûr, je le regrette. Mais en même temps, mon métier est de faire entendre des personnages comme ils doivent être interprétés. Je n’ai pas de grande philosophie à ce sujet et j’essaie de ne pas trop y penser : à l’opéra, certains personnages ont un certain ton qu’il faut respecter.

La meilleure illustration de ce que je veux dire vient peut-être des récitals : dans un récital, le public vient pour écouter une voix harmonieuse plutôt qu’un rôle, et je m’efforcerai toujours de rendre la fraîcheur et la beauté qui vont avec le genre.

J’avoue qu’ici, dans La Dame de pique, un rôle comme celui de la comtesse est une bénédiction : je peux chanter en toute liberté et ma voix peut sonner comme une voix un peu plus vieille (rires).

Soyons un peu nostalgiques... quel est votre premier souvenir de la musique de Tchaïkovski ?

Autrefois, c’était mon compositeur préféré. Sa musique représente beaucoup pour moi. Enfant, je rêvais d’être ballerine, et mes parents m’ont emmenée dès mon plus jeune âge à des spectacles de ballet classique. Je pense que j’avais huit ans lorsque j’ai entendu pour la première fois Le Lac des cygnes ou La Belle au bois dormant. J’ai été complètement bouleversée par l’univers musical romantique et passionné de Tchaïkovski.

C’est très particulier de pouvoir interpréter sa musique en direct pour la première fois. Bien sûr, on ne peut pas comparer La Dame de Pique aux immenses succès de foule que remportent ses ballets, mais on trouve malgré tout dans cet opéra cette passion qui rend Tchaïkovski si merveilleux et qui a fait germer en moi l’amour de la musique classique.